Une famille à Paris

Une famille à Paris
Heurts, Malheurs et Bonheurs

8.1.07

Derrière une maman, il y a aussi une grand-maman.

Lettre à ma grand-mère Erminia, à qui je veux dire que je l’aime profondément,
 
Nonna, toute ma vie, ce mot m’a réjouie. C’est un nom classique en italien, mais pour nous avec mon frère ; c’était comme un prénom intime qui t’avait été donné et qui t’allait bien.
Il était rond, chaud, joyeux, plein de vie et de sourires. Comme toi.
J’étais un bébé mais tu étais comme encore aujourd’hui même à ton âge une belle femme, qui me donnait à voir un sourire que je t’ai toujours connu sur ces dents qui n’ont jamais été retouchées. Un sourire de star. Comme un message à attraper de la vie. A avoir pour la vie.
 
Et pourtant, tu le sais comme nous et bien mieux, elle n’est pas toujours facile ni simple, la vie, et mieux vaut essayer de l’enfermer dans un quotidien rassurant et balisé au mieux, en taisant ses farces et mauvaises blagues et ses douleurs et ses pertes, pour n’en garder que les pâtes et la joie et le vin, quand on a tant lutté contre les maladies ou le mauvais sort.
 
Je t’écris ce soir après une semaine de souffrances parce que je comprends mieux ce qui nous lie et nous éclaire. La prière et la joie de vivre spontanée comme un antidote au malheurs, mais aussi l’élégance et la beauté pour ne pas sombrer dans la médiocrité et rester digne. Malgré les épreuves.
 
Tu sais, Nonna, quand j’étais petite et même plus grande, j’ai pleuré des soirs entiers en essayant de m’imaginer sans entendre ta voix quand tu ne serais plus là, et en n’y arrivant pas.
 
Dès une dizaine d’année, l’idée de la mort m’était terrible si elle te concernait. Il est impossible pour moi, qui ai tant pris de tout ce que tu m’as donné de m’imaginer sur cette terre sans t’associer à ma vie. Puisque tu ns a toujours aimés et écoutés, et aidés quand tu le pouvais avec ta logique et ton bon sens et toute l’expérience des années passées que je n’ai pas vécues. Pour moi l’Italie n’existe pas si ce n’est pas celle que tu me racontes. Ta vision des choses belle malgré tout le noir qui existe toujours et tout le mal que tu as caché et pardonné à beaucoup des tiens est une merveilleuse leçon d’amour, comme un exemple à suivre pour devenir meilleurs. I miglioli sono diventato i migliori, con te.
 
Ta vie avec nous est une partie de ma vie, une partie de celle de mon fils, car quand je le regarde éclater de rire et avoir l’œil coquin, je comprends qu’il me ressemble, mais qu’il aurait pu être le tien, aussi, pour être aussi vif et espiègle. Je ne sais pas si mon fils aura autant d’heureux souvenirs avec nous que j’en ai eus avec toi : mes premières années me sont une succession d’après-midi joyeuses, de gâteaux et de promenades au jardin d’en face aux divers oiseaux, canards, et singes, de sorties dans des magasins divers (parfumerie, jouets, boulangerie, torréfacteur) où tu étais fière de m’emmener, où tout le monde me papouillait ou presque, où toujours on m’offrait spontanément, ci un gâteau ou ci un cadeau. La rue de Pont-à-Mousson dans mon souvenir reste une oasis de bonheur, où nous habitions entre des amis (les Sutter et les Fiume), où j’étais chouchoutée et aimée de tous côtés. C’était l’enfance. Mon enfance, qui aimait faire le ménage avec toi et repasser les mouchoirs, faire du tricotin, et manger des tartines de fromage le matin à la pause de dix heures, mettre en rang les fils extérieurs du tapis, etc..etc.. C’était aussi ton amour et ton attention qui m’ont élevée, et donné de la force, au milieu de parents certainement présents mais dont je me souviens mal, bizarrement, quand, de l’autre je me souviens tellement bien de nous.
 
Je me suis occupée d’Aurélien aux mêmes âges, parce que je voulais que ce soit moi qu’il « imprime » dans sa psyché et mes câlins qu’il porte comme une armure face à la suite de sa vie pour toujours. Je ne sais pas si je suis aussi lumineuse et spontanée que toi, moins généreuse sans doute, mais j’ai essayé avec mon fils de bâtir ce lien fort avec tes méthodes. Il a cette chance d’avoir un père très aimant pour son fils, et ils se le rendent bien aussi. Et je suis très heureuse quand je les vois rigoler ensemble quand son père le change ou à divers moments, car je me dis que quelle que soit la suite, tout ce bonheur là est pris ensemble.
 
Anna a été aussi très présente pour moi, enfant, comme elle aussi un exemple de liberté et de vivacité. Finalement, la seule chose qui ait été pénible, en fait, et la raison de ma colère de cet été contre lui, c’est la « lourdeur » sa vie durant de son propre passé de Nonno, dont le caractère est entré en partie dans celui de ma mère, qui n’a donc pas comme je pense, toi, moi ou Anna pu être autrement que sérieuse et angoissée dans sa vie de femme, et dans sa vie tout court. Aux heures où l’on fait les bilans, est-ce qu’il ne vaut mieux pas avoir servi l’amour et la joie que la peur ? Si l’on a su rester sérieux et courageux par ailleurs dans sa vie matérielle, n’est-ce pas là l’essentiel ?
 
Je sais que tu n’avais pas le choix comme toutes les femmes de cette génération d’agir individuellement. Sans homme. Ils ont tout fait pour cela pour éviter de se faire laisser les uns après les autres vu qu’ils n’étaient pas prêts à partager le pouvoir dans un couple. Et il est forcément financier. La société est encore d’une certaine manière bloquée dans ce sens, et une fois les enfants nés, sans gros moyens, une mère a bien du mal à courir les projets, les sociétés, la réussite, sans avoir le temps et les énergies nécessaires comme si elle était, comme célibataire, libre d’agir et de construire une position. Lesquelles sont aussi non éternelles ou fugaces.
 
Quand tu parles de ta maman comme d’une forteresse, je te crois, car il en faut de l’énergie pour élever tous ces enfants, et faire les heures de classe d’une journée, à une époque où les appareils ménagers n’existaient pas. J’aurais aimé la connaître. Car elle était une référence pour toi, et cette étoile qui t’a toujours portée. Pas aussi belle que vous l’étiez tous, ses enfants, mais un cœur fort et authentique forcément. Une tête haute et aimante ? Quels étaient ses problèmes de couple ?
En avait-elle ?
 
J’en ai eu moi déjà, beaucoup dans ma vie. Des mauvais choix. J’en ai moins, parce que nous nous aimons avec Frédéric, mais la fatigue et le stress sont des périls, et la société est dure, il n’y a plus grand-chose de léger et d’élégant.., il y a beaucoup de fois où je dois le remuer pour qu’il bouge. Comme tous les hommes. Qui nous prennent tous pour leurs mères. Ou presque, une fois mariés. Je me demande si cela ne va pas empirer avec l’âge. Et j’agis contre dès que je peux. Mais je trouve une chance que son travail se passe bien et qu’il maîtrise un métier enrichissant à tous points de vue, mais je ne peux m’empêcher d’en être un peu jalouse, car il a trouvé sa voie. La mienne est sans doute liée à l’écriture encore, mais je vois mal comment en vivre, forcément. Donc, je cultive mes talents pour le moment où ils sauront s’exprimer.
Et je fais le gué comme toujours d’idées ou de projets pour les réaliser..
 
Entre passion et raison, sa vie n’est pas simple à conduire. Si vos passions parviennent à vous nourrir (comme Frédéric le fait), vous êtes armé pour les autres aspects de votre vie privée. Si vous avez besoin de vos passions pour vivre sans dépérir (Comme Anna ou moi), c’est plus dur, car moins cohérent. Plus compliqué. Mais chacun a aussi sa définition de la vie. Qui ne se discutent pas. Je le respecte.
Je voulais juste te dire comment je sais que la vérité n’a pas été forcément recherchée chez nous parce que c’était le problème de Nonno, mais aussi celui de l’histoire de votre famille. Il me reste l’impression qu’on n’aborde pas vraiment les choses qui fâchent sans tabous. Je n’étais pas cette enfant-là, donc je faisais du somnanbulisme ou des crises face à l’hypocrisie que ma mère a beaucoup porté avec elle pour d’autres. Je ressentais les décalages. Je les vivais ensuite comme un conflit intérieur. Mais ce que je sais, c’est qu’au milieu de ce marasme personnel pour vous deux, j’ai toujours trouvé cette pépite qui était ta joie et force de vivre, qui vous ont amenés tous les deux à vos âges dans ce bel état qui est le vôtre.
 
Tu en es fière, et tu dis que c’est le bon dieu qui vous a stirate fino qui.
Il a sans doute oui, voulu te dire que tu avais aussi droit à être servie, pas d’une vie de luxe, superficielle, mais d’une vie a minima confortable. Et toute ta famille est à ses côtés qui prie pour toi, nous, sur cette terre.
 
Nos générations changent, mon enfant n’aura que 13 ans quand j’aurais l’âge où tu es devenue grand-mère et t’es occupée de moi. Un peu tôt pour reproduire les mêmes schémas avec lui.
Nous sommes nous des vieux parents qui avons des bébés tard, le temps de décider de nos vies et de nos choix car nous avons pu décider de ne pas avoir d’enfants si nous n’étions pas prêts. Ce que vous ne pouviez pas faire avant.
 
Le mariage est moins qu’avant une contrainte, car on peut le rompre, mais le rompre pour de mauvaises raisons si la protection financière de la femme n’est pas assurée, est un risque majeur dans nos sociétés pour les femmes. Ne pas se marier l’est donc aussi dans ces conditions, car c’est ne donner aucun devoir aux hommes envers nous, tout en leur octroyant des droits ( de partager nos vies, nos joies ) pour le meilleur.
 
Je me souviens quelle a été ma détresse enfantine quand nous avons déménagé au Pontiffroy, quand Nonno a été muté à Cologne. Je n’ai rien compris au drame qui se nouait et pris le choc frontalement, qui mettait fin à ma vie réelle d’enfant heureuse-comme-dans-un-rêve.
 
D’une vie entourée et choyée de ton amour, je passais au temps de l’école maternelle collective, et à celui d’une vie familiale avec mes seuls parents, un frère bébé usurpateur et concurrent, entre quatre murs, sans possibilités de descendre te voir aux étages en-dessous. Pire, vous étiez partis loin, à trois heure de route, trajets que nous faisions souvent les week-ends (heureusement) avec mes parents pour vous voir. C’était long, mais nous étions super contents d’envahir votre appartement et de courir dans le couloir en stressant Nonno, parce que nous avions deux jours devant nous pour manger des pâtes et sortir en ville avec toi. Faire des magasins. Manger des strudels. Ou le summum, aller ensemble à Phantasialand. Ce parc d’attraction était magique et tu as toujours été partante pour nous y emmener, même en train s’il le fallait, l’été, même alors que tes jambes n’étaient plus trop alertes, alors que nous avions déjà plus de dix ans.
 
Sans te plaindre jamais. Entièrement habitée par la joie de nous faire plaisir et ce dévouement incroyable que tu as toujours eu envers nous. Par amour. Sans te préoccuper des contraintes. Sans t’écouter. Parce que tu as su et voulu nous accompagner. Vivre avec nous ces moments de féerie et de joies.
Pas comme un adulte, mais comme une fée. Dont tu as la présence et la bienveillance perpétuelles.
Ce don de Dieu que tu as, irradier naturellement de sa lumière de bonté, est un bonheur pour tous tes proches, et, pour moi, ta petite-fille, le cadeau que j’ai reçu en naissant dans ta famille. Je voulais te dire quelle chance cela a été pour moi de partager tous ces moments de début, puis, de ma vie, de vacances, tous ces Noêls et ces Pâques, ces repas, après-midi, et ces soirées de discussions et de câlins avec toi, Nonna, ma Nonna, qui es un ange. Pour toujours pour moi.
En me mettant à ta place, comme tu te mets aussi à la mienne, je vis depuis quelques années ce que nous imposera l’âge et la vieillesse. Les renoncements à la vitalité facile. L’obligation de se souvenir plutôt que de programmer. Une manière d’être au présent comme au passé, précautionneuse et attentive, car obligés à tellement de délicatesses pour préserver son corps et ses réserves. J’imagine ce que cette dimension a de limité, pour qui aime la liberté. Apprécier tout de même cette vie est un nouveau travail à plein temps, si on y arrive. Car les plus chers vous ont déjà quittés et forcément ils vous manquent, même si vous êtes restés pleins d’eux et de leur amour. C’est cette douleur que je ne connais pas, dont j’ai heureusement été préservée, qui m’effraie tant. De devoir continuer sa vie seule, sans ceux qui vous aimaient et que vous aimiez autant. Un déséquilibre au quotidien. Un nécessaire courage. Tu n’en as jamais vraiment parlé. Par pudeur et tristesse sans doute. Pour me montrer le meilleur, ou parce qu’on le vivait aussi ensemble. Comme avant. Avec eux.
 
Tu seras toujours pour moi celle que tu m’as décrite que je vois tant de fois quand je pense à toi, cheveux sublimement torsadés au vent de sa bicyclette, parcourant la campagne bresciane pour rejoindre son travail, et vivant sans réaliser comme tu avais dû intriguer et intéresser un certain nombre d’hommes de ton environnement. Au final, tu en a choisi un et est restée avec lui sans sourciller. Alors qu’il l’aurait mérité, de se faire un peu houspiller. Comme tous les hommes, quand ils pensent qu’ils ne risquent plus le départ de l’autre et s’en convainquent. Mais je crois bien que tu es toujours restée cette célibataire de caractère, qui a plié pour aimer ses bébés. Et choyer son foyer. Parce que là était l’amour.
 
Et que tu as raison, sans amour, comme disait St Jean, je ne suis rien.
 
Tu as gagné ta vie, Nonna Erminia. Comme ta mère avant toi. En enseignant et démontrant cette connaissance de soi et des autres qui est si importante pour le monde et ses enfants. Même au travers de ses guerres et de ses épreuves, contre l’indifférence et la bêtise, la méchanceté et la cruauté. Ton monde est le mien. Et je ne te dirai jamais « à jamais », mais « pour toujours » et « pour les tiens » !
 
 

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