Lettre à ma grand-mère Erminia, à qui je veux dire que je laime profondément,
Nonna, toute ma vie, ce mot ma réjouie. Cest un nom classique en italien, mais pour nous avec mon frère ; cétait comme un prénom intime qui tavait été donné et qui tallait bien.
Il était rond, chaud, joyeux, plein de vie et de sourires. Comme toi.
Jétais un bébé mais tu étais comme encore aujourdhui même à ton âge une belle femme, qui me donnait à voir un sourire que je tai toujours connu sur ces dents qui nont jamais été retouchées. Un sourire de star. Comme un message à attraper de la vie. A avoir pour la vie.
Et pourtant, tu le sais comme nous et bien mieux, elle nest pas toujours facile ni simple, la vie, et mieux vaut essayer de lenfermer dans un quotidien rassurant et balisé au mieux, en taisant ses farces et mauvaises blagues et ses douleurs et ses pertes, pour nen garder que les pâtes et la joie et le vin, quand on a tant lutté contre les maladies ou le mauvais sort.
Je técris ce soir après une semaine de souffrances parce que je comprends mieux ce qui nous lie et nous éclaire. La prière et la joie de vivre spontanée comme un antidote au malheurs, mais aussi lélégance et la beauté pour ne pas sombrer dans la médiocrité et rester digne. Malgré les épreuves.
Tu sais, Nonna, quand jétais petite et même plus grande, jai pleuré des soirs entiers en essayant de mimaginer sans entendre ta voix quand tu ne serais plus là, et en ny arrivant pas.
Dès une dizaine dannée, lidée de la mort métait terrible si elle te concernait. Il est impossible pour moi, qui ai tant pris de tout ce que tu mas donné de mimaginer sur cette terre sans tassocier à ma vie. Puisque tu ns a toujours aimés et écoutés, et aidés quand tu le pouvais avec ta logique et ton bon sens et toute lexpérience des années passées que je nai pas vécues. Pour moi lItalie nexiste pas si ce nest pas celle que tu me racontes. Ta vision des choses belle malgré tout le noir qui existe toujours et tout le mal que tu as caché et pardonné à beaucoup des tiens est une merveilleuse leçon damour, comme un exemple à suivre pour devenir meilleurs. I miglioli sono diventato i migliori, con te.
Ta vie avec nous est une partie de ma vie, une partie de celle de mon fils, car quand je le regarde éclater de rire et avoir lil coquin, je comprends quil me ressemble, mais quil aurait pu être le tien, aussi, pour être aussi vif et espiègle. Je ne sais pas si mon fils aura autant dheureux souvenirs avec nous que jen ai eus avec toi : mes premières années me sont une succession daprès-midi joyeuses, de gâteaux et de promenades au jardin den face aux divers oiseaux, canards, et singes, de sorties dans des magasins divers (parfumerie, jouets, boulangerie, torréfacteur) où tu étais fière de memmener, où tout le monde me papouillait ou presque, où toujours on moffrait spontanément, ci un gâteau ou ci un cadeau. La rue de Pont-à-Mousson dans mon souvenir reste une oasis de bonheur, où nous habitions entre des amis (les Sutter et les Fiume), où jétais chouchoutée et aimée de tous côtés. Cétait lenfance. Mon enfance, qui aimait faire le ménage avec toi et repasser les mouchoirs, faire du tricotin, et manger des tartines de fromage le matin à la pause de dix heures, mettre en rang les fils extérieurs du tapis, etc..etc.. Cétait aussi ton amour et ton attention qui mont élevée, et donné de la force, au milieu de parents certainement présents mais dont je me souviens mal, bizarrement, quand, de lautre je me souviens tellement bien de nous.
Je me suis occupée dAurélien aux mêmes âges, parce que je voulais que ce soit moi quil « imprime » dans sa psyché et mes câlins quil porte comme une armure face à la suite de sa vie pour toujours. Je ne sais pas si je suis aussi lumineuse et spontanée que toi, moins généreuse sans doute, mais jai essayé avec mon fils de bâtir ce lien fort avec tes méthodes. Il a cette chance davoir un père très aimant pour son fils, et ils se le rendent bien aussi. Et je suis très heureuse quand je les vois rigoler ensemble quand son père le change ou à divers moments, car je me dis que quelle que soit la suite, tout ce bonheur là est pris ensemble.
Anna a été aussi très présente pour moi, enfant, comme elle aussi un exemple de liberté et de vivacité. Finalement, la seule chose qui ait été pénible, en fait, et la raison de ma colère de cet été contre lui, cest la « lourdeur » sa vie durant de son propre passé de Nonno, dont le caractère est entré en partie dans celui de ma mère, qui na donc pas comme je pense, toi, moi ou Anna pu être autrement que sérieuse et angoissée dans sa vie de femme, et dans sa vie tout court. Aux heures où lon fait les bilans, est-ce quil ne vaut mieux pas avoir servi lamour et la joie que la peur ? Si lon a su rester sérieux et courageux par ailleurs dans sa vie matérielle, nest-ce pas là lessentiel ?
Je sais que tu navais pas le choix comme toutes les femmes de cette génération dagir individuellement. Sans homme. Ils ont tout fait pour cela pour éviter de se faire laisser les uns après les autres vu quils nétaient pas prêts à partager le pouvoir dans un couple. Et il est forcément financier. La société est encore dune certaine manière bloquée dans ce sens, et une fois les enfants nés, sans gros moyens, une mère a bien du mal à courir les projets, les sociétés, la réussite, sans avoir le temps et les énergies nécessaires comme si elle était, comme célibataire, libre dagir et de construire une position. Lesquelles sont aussi non éternelles ou fugaces.
Quand tu parles de ta maman comme dune forteresse, je te crois, car il en faut de lénergie pour élever tous ces enfants, et faire les heures de classe dune journée, à une époque où les appareils ménagers nexistaient pas. Jaurais aimé la connaître. Car elle était une référence pour toi, et cette étoile qui ta toujours portée. Pas aussi belle que vous létiez tous, ses enfants, mais un cur fort et authentique forcément. Une tête haute et aimante ? Quels étaient ses problèmes de couple ?
En avait-elle ?
Jen ai eu moi déjà, beaucoup dans ma vie. Des mauvais choix. Jen ai moins, parce que nous nous aimons avec Frédéric, mais la fatigue et le stress sont des périls, et la société est dure, il ny a plus grand-chose de léger et délégant.., il y a beaucoup de fois où je dois le remuer pour quil bouge. Comme tous les hommes. Qui nous prennent tous pour leurs mères. Ou presque, une fois mariés. Je me demande si cela ne va pas empirer avec lâge. Et jagis contre dès que je peux. Mais je trouve une chance que son travail se passe bien et quil maîtrise un métier enrichissant à tous points de vue, mais je ne peux mempêcher den être un peu jalouse, car il a trouvé sa voie. La mienne est sans doute liée à lécriture encore, mais je vois mal comment en vivre, forcément. Donc, je cultive mes talents pour le moment où ils sauront sexprimer.
Et je fais le gué comme toujours didées ou de projets pour les réaliser..
Entre passion et raison, sa vie nest pas simple à conduire. Si vos passions parviennent à vous nourrir (comme Frédéric le fait), vous êtes armé pour les autres aspects de votre vie privée. Si vous avez besoin de vos passions pour vivre sans dépérir (Comme Anna ou moi), cest plus dur, car moins cohérent. Plus compliqué. Mais chacun a aussi sa définition de la vie. Qui ne se discutent pas. Je le respecte.
Je voulais juste te dire comment je sais que la vérité na pas été forcément recherchée chez nous parce que cétait le problème de Nonno, mais aussi celui de lhistoire de votre famille. Il me reste limpression quon naborde pas vraiment les choses qui fâchent sans tabous. Je nétais pas cette enfant-là, donc je faisais du somnanbulisme ou des crises face à lhypocrisie que ma mère a beaucoup porté avec elle pour dautres. Je ressentais les décalages. Je les vivais ensuite comme un conflit intérieur. Mais ce que je sais, cest quau milieu de ce marasme personnel pour vous deux, jai toujours trouvé cette pépite qui était ta joie et force de vivre, qui vous ont amenés tous les deux à vos âges dans ce bel état qui est le vôtre.
Tu en es fière, et tu dis que cest le bon dieu qui vous a stirate fino qui.
Il a sans doute oui, voulu te dire que tu avais aussi droit à être servie, pas dune vie de luxe, superficielle, mais dune vie a minima confortable. Et toute ta famille est à ses côtés qui prie pour toi, nous, sur cette terre.
Nos générations changent, mon enfant naura que 13 ans quand jaurais lâge où tu es devenue grand-mère et tes occupée de moi. Un peu tôt pour reproduire les mêmes schémas avec lui.
Nous sommes nous des vieux parents qui avons des bébés tard, le temps de décider de nos vies et de nos choix car nous avons pu décider de ne pas avoir denfants si nous nétions pas prêts. Ce que vous ne pouviez pas faire avant.
Le mariage est moins quavant une contrainte, car on peut le rompre, mais le rompre pour de mauvaises raisons si la protection financière de la femme nest pas assurée, est un risque majeur dans nos sociétés pour les femmes. Ne pas se marier lest donc aussi dans ces conditions, car cest ne donner aucun devoir aux hommes envers nous, tout en leur octroyant des droits ( de partager nos vies, nos joies ) pour le meilleur.
Je me souviens quelle a été ma détresse enfantine quand nous avons déménagé au Pontiffroy, quand Nonno a été muté à Cologne. Je nai rien compris au drame qui se nouait et pris le choc frontalement, qui mettait fin à ma vie réelle denfant heureuse-comme-dans-un-rêve.
Dune vie entourée et choyée de ton amour, je passais au temps de lécole maternelle collective, et à celui dune vie familiale avec mes seuls parents, un frère bébé usurpateur et concurrent, entre quatre murs, sans possibilités de descendre te voir aux étages en-dessous. Pire, vous étiez partis loin, à trois heure de route, trajets que nous faisions souvent les week-ends (heureusement) avec mes parents pour vous voir. Cétait long, mais nous étions super contents denvahir votre appartement et de courir dans le couloir en stressant Nonno, parce que nous avions deux jours devant nous pour manger des pâtes et sortir en ville avec toi. Faire des magasins. Manger des strudels. Ou le summum, aller ensemble à Phantasialand. Ce parc dattraction était magique et tu as toujours été partante pour nous y emmener, même en train sil le fallait, lété, même alors que tes jambes nétaient plus trop alertes, alors que nous avions déjà plus de dix ans.
Sans te plaindre jamais. Entièrement habitée par la joie de nous faire plaisir et ce dévouement incroyable que tu as toujours eu envers nous. Par amour. Sans te préoccuper des contraintes. Sans técouter. Parce que tu as su et voulu nous accompagner. Vivre avec nous ces moments de féerie et de joies.
Pas comme un adulte, mais comme une fée. Dont tu as la présence et la bienveillance perpétuelles.
Ce don de Dieu que tu as, irradier naturellement de sa lumière de bonté, est un bonheur pour tous tes proches, et, pour moi, ta petite-fille, le cadeau que jai reçu en naissant dans ta famille. Je voulais te dire quelle chance cela a été pour moi de partager tous ces moments de début, puis, de ma vie, de vacances, tous ces Noêls et ces Pâques, ces repas, après-midi, et ces soirées de discussions et de câlins avec toi, Nonna, ma Nonna, qui es un ange. Pour toujours pour moi.
En me mettant à ta place, comme tu te mets aussi à la mienne, je vis depuis quelques années ce que nous imposera lâge et la vieillesse. Les renoncements à la vitalité facile. Lobligation de se souvenir plutôt que de programmer. Une manière dêtre au présent comme au passé, précautionneuse et attentive, car obligés à tellement de délicatesses pour préserver son corps et ses réserves. Jimagine ce que cette dimension a de limité, pour qui aime la liberté. Apprécier tout de même cette vie est un nouveau travail à plein temps, si on y arrive. Car les plus chers vous ont déjà quittés et forcément ils vous manquent, même si vous êtes restés pleins deux et de leur amour. Cest cette douleur que je ne connais pas, dont jai heureusement été préservée, qui meffraie tant. De devoir continuer sa vie seule, sans ceux qui vous aimaient et que vous aimiez autant. Un déséquilibre au quotidien. Un nécessaire courage. Tu nen as jamais vraiment parlé. Par pudeur et tristesse sans doute. Pour me montrer le meilleur, ou parce quon le vivait aussi ensemble. Comme avant. Avec eux.
Tu seras toujours pour moi celle que tu mas décrite que je vois tant de fois quand je pense à toi, cheveux sublimement torsadés au vent de sa bicyclette, parcourant la campagne bresciane pour rejoindre son travail, et vivant sans réaliser comme tu avais dû intriguer et intéresser un certain nombre dhommes de ton environnement. Au final, tu en a choisi un et est restée avec lui sans sourciller. Alors quil laurait mérité, de se faire un peu houspiller. Comme tous les hommes, quand ils pensent quils ne risquent plus le départ de lautre et sen convainquent. Mais je crois bien que tu es toujours restée cette célibataire de caractère, qui a plié pour aimer ses bébés. Et choyer son foyer. Parce que là était lamour.
Et que tu as raison, sans amour, comme disait St Jean, je ne suis rien.
Tu as gagné ta vie, Nonna Erminia. Comme ta mère avant toi. En enseignant et démontrant cette connaissance de soi et des autres qui est si importante pour le monde et ses enfants. Même au travers de ses guerres et de ses épreuves, contre lindifférence et la bêtise, la méchanceté et la cruauté. Ton monde est le mien. Et je ne te dirai jamais « à jamais », mais « pour toujours » et « pour les tiens » !
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